Traduction de l’article de Guido Bosteels paru en néerlandais dans la revue n° 44 de décembre 2017 page 49.
Une candide grenouille nageait joyeusement dans une grande marmite d’eau sous laquelle un petit feu avait été allumé. Cette bonne eau bien tiède lui donnait une sensation d’agréable bien-être. Mais après quelque temps, lorsque la température de l’eau monta sérieusement, la grenouille se sentit prise de fatigue. Bientôt, elle ne trouva même plus l’énergie nécessaire pour réagir. Peu de temps après, l’eau se mit à bouillir, si bien que notre pauvre grenouille y perdit la vie sans s’en rendre compte.
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Cette fable que nous devons au philosophe suisse Olivier Clerc, nous apprend comment une évolution que nous subissons petit à petit peut échapper à notre conscience, de telle façon qu’au cours du temps nous pouvons nous retrouver dans un environnement que nous n’avions pas vu arriver, que nous n’avions pas voulu ni attendu, et qui peut même nous être fatal.
Cette leçon n’est-elle pas de notre temps ? L’impact de l’influence collective qui nous inonde ces dernières années demande toute notre attention. Nous ne pouvons plus ignorer que bien des valeurs que nos ancêtres avaient suivies avec grand soin depuis des siècles sont mises à l’écart sous l’effet de la pression d’une évolution considérée comme inévitable. Au nom du progrès et grâce à des moyens techniques toujours nouveaux, nous devons jour après jour digérer une masse d’impressions qui, bien trop souvent, frappent nos consciences, mettent à mal nos perspectives historiques et nous poussent à déconsidérer nos valeurs.
Depuis des années, des hommes sages nous rappellent que la vitalité des civilisations a une limite. Une communauté reste vivante tant qu’elle peut fournir la force de résister aux éléments qui peuvent conduire à sa disparition. Sans cela, sa décadence apparaît, ainsi que nous le montre l’Histoire par de nombreux exemples.
Gent, Zuidpark, 04.03.17 ©F.Hessel
Voici donc à ce propos le moment de se souvenir de ceux qui ont, à leur époque, su dégager l’énergie pour dépasser les limites des frontières de leur pays pour aller ensemencer des précieuses valeurs de notre Europe de l’Ouest l’Afrique lointaine. Au siècle passé, des milliers de compatriotes se sont portés volontaires pour quitter leurs proches et leur environnement familier et partir pour longtemps vers une terre inconnue.
L’apport humain qui à partir de notre pays fut transposé en Afrique Centrale était impressionnant: des missionnaires, des fonctionnaires, des médecins, des agronomes, des militaires, des architectes, des enseignants, des colons, et bien plus… Et finalement, des investisseurs ne restèrent pas indifférents, tantôt avec un espoir vain, tantôt avec des résultats surprenants…
Cette aventure africaine activa fortement l’esprit d’initiative des Belges. Au lieu de la vieille mentalité de clocher, la conscience nationale fut enrichie d’une nouvelle dimension élargie. Et ceux qui partirent vers l’équateur virent dans leur nouveau milieu de travail des défis insoupçonnés et y trouvèrent l’occasion d’endurcir leur caractère et de développer en eux des talents qu’ils ne se connaissaient pas.
Et, que dire d’aujourd’hui ? Sans le savoir, nous avons atterri dans un autre mode de vie. Autres temps, autres mœurs. Ne sommes-nous pas en droit de nous demander si notre pays serait encore aujourd’hui capable de dégager le potentiel pour mettre en branle une entreprise telle qu’elle germa au dix-neuvième siècle dans l’esprit visionnaire de Léopold II ?