Traduction de l’article de Guido Bosteels paru en néerlandais dans la revue n° 52 du mois de décembre 2019, page 52.
Sur les bancs scolaires déjà, il nous fut enseigné que le développement du système colonial belge était fondé sur trois piliers : l’administration publique, le monde des affaires et… l’évangélisation.
A ce jour, les deux premiers facteurs prénommés de développement font évidemment l’objet de toutes les attentions – le plus souvent dans un sens négatif d’ailleurs – mais il nous semble que ce troisième pilier, l’évangélisation, paraît avoir été mis quelque peu en sourdine.
En fait, il n’y a guère besoin de s’étonner : à ce jour, le phénomène colonial est devenu une matière particulièrement brûlante à tel point qu’une discussion sereine et des conclusions équilibrées paraissent difficiles à s’établir. Trop peu de gens, en effet, paraissent capables de se rendre compte de l’impact que peut avoir sur les esprits l’évolution dans le temps des conceptions qui dominent le comportement humain et les options qui s’en dégagent au sein des générations successives. Il faut se rendre compte que l’Eglise catholique aussi n’a pas été insensible à l’évolution des esprits : il suffit de se rappeler à ce propos le Concile de Vatican II.
Dans un article paru dans la revue paroissiale néerlandophone ‘Kerk en Leven’ nous prenons connaissance d’une opinion du professeur à la KULeuven Idesbald Goddeeris – dont nous connaissons le peu d’estime que lui vaut la colonisation belge – où il reconnaît l’impression positive que lui laisse l’œuvre missionnaire : les activités des missionnaires ne se limitaient d’ailleurs pas au domaine strictement religieux, la conquête des âmes, mais ils étaient en même temps des aides précieux et des entrepreneurs ayant opéré une mutation positive au sein des sociétés locales qu’ils ont trouvées sur place.
Se pose alors la question cruciale : les missionnaires avaient-ils le même agenda que le roi Léopold II ? Le professeur Zana Etambala répond par la négative, mais les uns trouvaient de l’appui auprès des autres. C’est clairement à l’instigation dudit souverain que divers ordres religieux ont eu leur attention attirée sur la nécessité d’aller civiliser les peuples dits païens. La politique coloniale visait d’ailleurs à assister les congrégations missionnaires dans de nombreux domaines. Ainsi, leur enseignement et leur action sur le plan médical bénéficiaient de l’appui des autorités.
Convient-il de juger l’histoire de l’œuvre missionnaire chrétienne en Afrique et ailleurs sous le même angle que celui qui prévaut actuellement à l’examen de notre passé colonial ? « Les missions qu’on a connues jadis n’existent plus depuis longtemps » nous répond d’emblée Zana Etambala. Il doit être clair que le concept de Mission se situe actuellement dans un autre contexte qu’au 19me siècle. L’auteur lève la voix : Peut-on reprocher aux missionnaires d’avoir tenu le langage et d’avoir agi selon le mode qui prévalait à l’époque ? En tant qu’historiens nous ne devons pas perdre notre sens critique mais évitons tout de même de nous rendre ridicules ! N’oublions pas leurs énormes mérites en ayant réussi à former une élite de très haut niveau intellectuel et moral.
Dans le domaine des réactions risibles, on peut s’interroger sur le sens d’avoir voulu munir la statue du père De Deken d’un panneau explicatif. La réaction de Zana Etambala est claire et nette : le père De Deken fut un homme exceptionnel et les héros sont de tous les temps. Contentons-nous plutôt d’une étude sereine du contexte historique !
Nous ne pouvons pas oublier, par ailleurs, qu’à l’époque coloniale déjà des idées particulièrement novatrices ont vu le jour. Nous pensons à cet égard à l’œuvre révolutionnaire du père franciscain Placide Tempels qui s’est efforcé, en lançant son célèbre concept de philosophie bantoue, d’ouvrir la voie vers un rapprochement entre la pensée occidentale et la vision du monde telle qu’elle avait cours en Afrique.
Dernière question : possédons-nous une vue suffisamment nette de notre passé missionnaire ? Le professeur Goddeeris répond aussitôt qu’une telle histoire n’a pas encore bénéficié de toute l’attention qu’elle aurait méritée. D’ailleurs, et la réaction de cet intellectuel ne nous étonnera pas : selon lui, pour combler cette lacune, la voix venant du sud devrait être prépondérante.