Traduction de l’article de Guido Bosteels paru en néerlandais dans la revue n° 56 du mois de décembre 2020, page 52.
Bien nombreux sont les auteurs et commentateurs qui se sont livrés à une analyse des relations économiques entre la Belgique et son ancienne colonie… et qui s’y sont cassé les dents. Nous savons bien que la perfection n’est pas de ce monde mais, pris par leurs préjugés, ils ont bien trop souvent lancé des critiques manquant totalement de fondement. Il nous soulage, dès lors, de prendre connaissance des travaux de certains scientifiques, tels par exemple du professeur Stefaan Marysse de l’Université d’Anvers qui, partant d’analyses objectives, arrivent à la conclusion combien il est erroné de tout ramener à des condamnations radicales. C’est donc à juste titre qu’un manque manifeste de nuances est dénoncé par le professeur précité, et ce dans un article paru dans la revue de haut niveau néerlandophone “STREVEN”.
N’est-il pas profondément décevant que depuis tant d’années on a jonglé avec des chiffres insensés dont il apparaît finalement qu’ils ne tiennent nullement debout. L’exemple le plus navrant de pareils errements concerne les chiffres que l’on a fait circuler depuis trop d’années à propos de la baisse de la population congolaise sous le régime de l’Etat indépendant du Congo : cinq millions, dix millions, voire trente millions ont été cités, voire même un génocide.
Pourquoi donc a-t-il fallu tant d’années avant qu’un historien-géographe, le professeur J.-P. Sanderson (UCL) ait ramené, dans son étude de doctorat, ce nombre à un résultat scientifiquement fondé (appuyé par le professeur Vanthemsche (VUB)), selon lequel ce chiffre serait de l’ordre de 500.000 à 1 million d’âmes au maximum. Précisons bien que nous parlons ici d’une baisse du chiffre de la population et pas des suites d’exactions. Il ne s’agit pas d’occulter ici les graves irrégularités qui ont assombri l’arrivée des premiers colonisateurs mais il faut bien prendre en compte aussi l’esclavagisme, la survenance de nouvelles maladies, les luttes tribales et la pénibilité des conditions d’existence primitive. Parler ici de génocide est manifestement dénué de sens.
Des excès d’un autre ordre ont cours lorsqu’il est question du prétendu enrichissement de la Belgique grâce à l’exploitation de ses richesses coloniales. On dispose de chiffres relatifs à l’influx financier net au départ de l’Etat indépendant. Selon le professeur Marysse, cet influx est évalué à quelque 32 millions de francs or, ce qui correspond à 192 millions d’euro à ce jour. Cette somme représente moins de 0,1 pourcent du revenu national belge de l’année 1908. A titre de comparaison : les actionnaires belges ayant investi dans des entreprises russes ont encouru en 1919 des pertes de l’ordre de 3,5 milliards de francs or. Cela fait cent fois plus !
Il est exact, par ailleurs, que le revenu par tête d’habitant en Belgique a doublé au cours des 75 ans de colonisation. Cela n’empêche pas que, tout compte fait, la Belgique aurait bien pu se passer d’une colonie. En effet, aux premiers jours du 20e siècle La Belgique bénéficiait – hormis la Grande-Bretagne – du niveau de vie le plus élevé du monde. Dès la fin de l’époque coloniale, le revenu par tête d’habitant belge s’est mis à grimper rapidement, ce notamment grâce à l’avènement du Marché commun en Europe : il a été multiplié par trois !
L’on entend parfois le reproche selon lequel la Belgique aurait abandonné le Congo avec la charge d’une importante dette publique résultant des investissements réalisés dans le cadre du plan décennal. Ce reproche n’est pas fondé. En effet, la dette publique congolaise était couverte à concurrence de 85 % par la valeur du portefeuille de la colonie. Hélas, il se devine ce que sont devenues après 1960 ces participations officielles dans des entreprises privées. Ce qui est bien établi, par contre, c’est qu’en 1960 le Congo était le plus prospère de tous les pays africains, sauf un seul. Le cours du franc congolais était paritaire à la monnaie belge. Tout le monde sait qu’aujourd’hui ce n’est plus le cas et que ce pays, en dépit de ses énormes potentialités, se retrouve à la queue des Etats africains.
De même, on entend régulièrement des voix réclamant une indemnisation de la part de la Belgique pour la colonisation. Mais que fait on, par contre, en échange de l’éblouissant enrichissement dont a bénéficié le territoire congolais, résultant notamment du premier plan décennal ? Et quid de la faillite de l’économie congolaise à la suite de la ‘Zaïrisation’ de toutes les entreprises étrangères? Enfin, les Congolais auraient-ils oublié déjà le bénéfice de la coopération au développement fournie par la Belgique au Congo depuis soixante ans et dont l’import est évalué à quelque 12 milliards d’euro ?
Ne devons-nous pas regretter la criante insuffisance de l’information quant aux enjeux financiers en rapport avec le sous-développement de l’Afrique ?