Traduction de l’article d’Afrikagetuigenissen paru dans la revue 33 page 38.
« L’Afrique est le lieu des angoisses les plus diverses : la peur des animaux sauvages, des éléments naturels, des chefs indigènes, des féticheurs et plus particulièrement du ‘mauvais sort’, susceptible d’être infligé par d’autres personnes, et spécialement par des féticheurs. Un accident, un décès inattendu est toujours mis sur le compte d’un tel mauvais sort, qui doit nécessairement se produire à l’intervention d’une tierce personne, voire directement d’un quelconque esprit maléfique. S’ensuit généralement la consultation d’un féticheur appelé à désigner le ou les coupables(s). Cet homme devient ainsi un personnage important, dont la sentence pouvait avoir des suites importantes. »
Telle est l’expérience qu’on peut lire dans un ouvrage passionnant du docteur Jef Haeverans: ‘Dokter in Congo’, dont une traduction française est en voie d’achèvement. Dans un livre que le regretté Cyriel Van Meel nous a laissé, « Depuis, le bolikoko s’est tu », nous relevons une anecdote qui illustre bien ce propos.
Lors d’une marche à pied le long du chemin qui était suivi à l’époque par les Bayaka lorsqu’ils se rendaient du Kwango vers Kinshasa, son équipe fit halte, un jour, à la tombée de la nuit, au milieu d’une ‘nseke’ (savane), en vue de passer la nuit en dessous d’un gros arbre solitaire.
Après le repas du soir, un feu de bois rougeoyait encore faiblement et les équipiers, l’un après l’autre, éreintés par les fatigues de la journée, s’enroulèrent dans leur couverture et s’étendirent sur un tas de matiti. La savane respirait le silence, sans que la moindre brise ne vienne effleurer l’immense étendue herbeuse. Au loin, on entendait le jappement d’un chacal. Incidemment, une antilope vint brouter un instant à proximité et tout au loin le rugissement d’un lion se fit même entendre. Couché, Cyriel braquait les oreilles et jouissait intensément de ce moment sublime dont aucune description n’eut pu traduire l’impact.
Mais soudain un léger vent vint secouer les branches grêles de l’arbre au-dessus des têtes du groupe.
« Ndzambi Phuungu uhyokele » (Voilà Dieu qui passe) chuchota le compagnon à côté de Cyriel. Tous attendaient un second coup de vent et gardaient anxieusement le silence. Les porteurs étaient également éveillés et se tenaient immobiles car tous avaient le sentiment de vivre un moment extrêmement périlleux. Si Ndzambi Phuungu était repassé pour enlever quelqu’un, c’est sous cet arbre que sa dernière heure aurait sonné ! Tous retinrent leur souffle mais heureusement plus aucun coup de vent ne vint secouer les branches.
Au réveil, l’homme à côté de Cyriel lui raconta les pensées qui lui étaient venues à l’esprit la veille. « Vous autres, Blancs, disait-il, vous êtes les ‘Ndzambi ya ntotu’ (les seigneurs de la terre), c’est vous qui faites ces automobiles et bateaux rapides, vous voyagez même dans l’air, mais quand vous nous emportez – voulant dire par là : lorsque vous nous mettez en prison – nous finissons toujours par revenir un jour. Mais lorsque Ndzambi Phuungu emporte quelqu’un, il disparaît à jamais ».
G. Bosteels.