Traduction de l’article d’Afrikagetuigenissen paru dans la revue 37 page 23.
Cela se passe dans l’agitation des années 1958, 1959 et début 1960, au temps où le Congo Belge courait vers l’indépendance à une vitesse vertigineuse.
Le Roi Baudouin avait beau dire : « Nous allons vers l’indépendance sans atermoiements funestes, mais sans précipitation inconsidérée » sic.
Et à cette même époque un ministre clairvoyant (si, si, cela existe) avait eu ce cri du cœur : « Je ne sais pas où nous allons, mais je sais que nous y allons vite… ».
Il est vrai qu’il s’agissait d’une période très mouvementée ! L’un après l’autre les pays africains accédaient à l’indépendance.
Il y avait eu l’Exposition Universelle de Bruxelles, où de futurs politiciens congolais faisaient connaissance avec des politiciens belges, avec les suites qu’on connaît.
Il y avait eu la révolte de janvier 1959.
Le Plan Van Bilsen suscitait les commentaires : trente ans ? Ce type est fou ! Il faudrait au moins cent ans. Les partis politiques poussaient comme des champignons. Qu’en penser ? Le doute et le malaise étaient palpables chez beaucoup d’habitants de la colonie.
Comment remédier à un tel désarroi ?
De tous temps les gouvernements ont utilisé une recette infaillible : souvenez-vous des Romains, « panem et circenses », du pain et des jeux.
Du pain il n’en manquait pas à l’époque du Congo Belge.
Personne ne mourait de faim en ces temps-là. Le demi-million d’habitants que comptait la capitale à ce moment (il semblerait qu’il y en ait six millions aujourd’hui !), mangeait tous les jours à sa faim.
Donc une seule alternative : des Jeux !
Les « Spectacles Populaires » ont alors vu le jour. Des orchestres européens, des chanteurs, des artistes de cirque, des marionnettistes, des équipes de cinéma et autres amuseurs furent invités.
Ils sillonnaient les routes (très praticables à l’époque) pour atteindre villes et villages.
Des villageois, qui n’avaient encore jamais vu de films, firent la connaissance de Charlie Chaplin.
On put se rendre compte, une fois de plus, que l’art de ce dernier est universel.
Les hommes, les femmes et les enfants se tordaient de rire, se donnaient des coups de coude entendus, et jetaient des pierres à l’écran lorsque le-gros-à-la-barbe cherchait noise à leur Charlot.
« Les Spectacles Populaires » connurent un énorme succès à Léopoldville.
Des firmes et associations organisaient des concours et des programmes de jeux. Des prix fort appréciés étaient mis en jeux. Venenum in cauda : l’heureux gagnant devait en conclusion prononcer la phrase diabolique :
« Merci Spectacles Populaires ».
Même une langue francophone pourrait trébucher sur une telle phrase.
Le public jubilait. Hurlant de rire il écoutait la malheureuse victime s’essayer pour la dixième fois au remerciement imposé. Cette dernière n’en prenait pas ombrage et, bien au contraire, savourait son succès. Les noirs sont rieurs de nature. Et n’était-on pas venu pour s’amuser ?
On ne se souvient plus guère de la personne qui a eu l’idée d’organiser une élection de « Miss ».
On n’oubliera cependant pas que de jolies filles aux jambes longues et fuselées débarquèrent d’Europe pour venir fraterniser avec les beautés locales. On voulait montrer à quel point on peut être incroyablement attirantes, drapées dans un pagne ou un wax.
En revanche, les Eve noires défilaient sur le catwalk en tenue européenne, cheveux lisses, hauts talons (aïe, ma cheville), et autres accessoires adéquats, croulant sous les applaudissements.
Plus d’un demi-siècle plus tard on se souvient avec émotion de ces reines de beauté noires aux noms charmants tels que « Canne à sucre », « Bambou », « Amour-Amour », « Oui Fifi » et autres « Fleur de Savane ».
Notre ex-colonie vit, plus que jamais, des temps difficiles.
Les Jeux n’ont plus la priorité et la lutte pour le pain quotidien prime.
« Les choses ne peuvent que s’améliorer » disait un optimiste. Il parlait bien sûr, des prévisions météo.
Espérons que le beau temps revienne pour notre Congo tant aimé.
Daisy Ver Boven