Traduction de l’article d’Afrikagetuigenissen paru en néerlandais dans la revue 42 page 47.

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Cette année, nous commémorons le père franciscain limbourgeois Placide Tempels, pionnier de la philosophie bantoue, décédé en 1977, voici donc 40 ans. Sa conviction profonde tenait en une seule phrase : « Le christianisme est capable d’animer une civilisation bantoue comme il a su animer jadis la civilisation occidentale. »

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« Ou bien il y aura une civilisation bantoue chrétienne, sinon il n’y aura qu’une européanisation superficielle, qui assassinera le Bantouisme. Il n’y a pas d’autre issue ». Ces paroles lourdes de sens sont illustratives du livre « La philosophe bantoue » que le père franciscain Placide Tempels a fait paraître en 1946. Cette œuvre fera aussitôt figure de pierre blanche dans l’essor d’une pensée philosophique spécifiquement africaine et elle ne manquera pas d’influencer largement la manière dont est exercée l’œuvre missionnaire en Afrique, voire celle dont le christianisme y est actuellement vécu.

Ce livre est significatif de l’évolution qui s’est produite dans l’esprit de cet auteur après dix années d’activité missionnaire. Au fil du temps, la déception l’avait saisi en constatant que l’enseignement religieux qu’il avait toujours prodigué en conformité avec les règles doctrinales et sur base de la pensée occidentale classique était si difficilement assimilé par les esprits africains.

Saisi par le doute quant à savoir s’il était bien sur la bonne voie, le père Tempels décida de tourner le dos à l’enseignement doctrinal classique. Il s’efforça de sonder l’esprit de l’homme africain. En dialoguant avec les gens, en les interrogeant, en analysant leurs dictons et proverbes, il se mit à découvrir le fond de l’âme africaine, les conceptions ancestrales et la sagesse bantoue.

Revenons un instant au point de départ de cette philosophie : ce qui compte dans la perception bantoue, ce ne sont pas « les choses », ce qui « est », comme en occident, mais la force vitale, que les puristes préfèrent même nommer : force de vie. Cette force vitale constitue la réalité invisible de tout ce qui existe. Elle se retrouve, de manière progressive, dans la nature « morte », dans les plantes, les animaux et les hommes, mais ensuite aussi dans le monde des esprits et enfin, surtout, dans la divinité. Dans cette pensée africaine, l’être humain occupe évidemment une place essentielle et ce qui importe, par conséquent, c’est l’acquisition, la conservation et la manière de transférer cette force vitale.

La vieillesse, la maladie, par exemple, impliquent une perte de cette force, alors qu’un chef compétent est jugé capable d’amplifier cette force. Quiconque possède une certaine expérience de l’état d’esprit africain sait qu’une personne humaine, même décédée, est jugée susceptible d’influencer la force vitale de quelqu’un d’autre.

Si le christianisme veut trouver une base solide à son développement en Afrique, soutint le père Tempels, il est indispensable qu’il se mette en concordance avec cette pensée. Plus encore : « Le christianisme est capable d’animer une civilisation bantoue chrétienne comme il a su animer jadis la civilisation occidentale » : telle est l’idée qui est à la base de son œuvre.

Ce n’était évidemment pas peu de chose qu’un jeune missionnaire s’aventurât ainsi, à titre individuel, à remettre en cause l’œuvre missionnaire traditionnelle, d’autant plus que son propos fût assorti d’une exhortation formelle à ajuster l’enseignement traditionnel.

Ne serait-il pas judicieux de reconnaître que, dans la vie civile aussi, les autorités de l’époque auraient été bien inspirées en prenant soin de mieux familiariser les futurs coloniaux avec la pensée spécifique du monde bantou ? Ainsi, ces nouveaux arrivants auraient-ils été mieux à même d’absorber le choc culturel qui les attendait en arrivant sur le sol africain. Ce faisant, bien des tensions, des malentendus et des heurts n’auraient-ils pu être évités ?

Guido Bosteels