Traduction de l’article de Guido Bosteels paru en néerlandais dans la revue n° 45 de mars 2018 page 51.
Nous avons été péniblement surpris par le décès récent du révérend frère scheutiste Paul Dequeker, architecte.
Esprit déterminé, créatif et soucieux de progrès, homme de caractère, serviable, animé d’un idéal chrétien profondément ancré, au service de la beauté, Paul Dequeker était l’homme qui a fait souffler un vent nouveau sur l’architecture en milieu tropical, et plus spécifiquement au Congo.
Le facteur décisif dans sa démarche aura été le postgraduat en architecture tropicale qu’il a acquis à la Associated School of Architecture à Londres. C’est là qu’il a pris conscience de la philosophie de base de l’architecture en milieu tropical, où il faut pourvoir à des besoins fort opposés à ceux rencontrés en Europe. Comme Le Corbusier l’avait écrit un jour : Le soleil, l’humidité et le vent gouvernent l’architecture tropicale.
Alors que chez nous il s’agit le plus souvent de conserver la chaleur, en Afrique c’est l’élimination de cette chaleur qui pose problème. De plus, la différence de climat influe largement sur le mode de vie. C’est ainsi que les Congolais vivent autant que possible à l’extérieur.
Un autre point d’intérêt concerne le choix des matériaux mis en oeuvre qui, selon lui, devait dans toute la mesure du possible se porter sur les matières premières disponibles sur place. En même temps devait prévaloir le souci de rechercher les méthodes de construction les plus simples et les plus avantageuses, sans pour autant porter préjudice à la valeur esthétique de l’ouvrage.
Téméraire qu’il était, le frère Dequeker ne craignait pas d’aller à l’encontre des anciennes habitudes encore en vigueur et il fit face aux objections que devaient subir ses conceptions révolutionnaires. Infatigable autant qu’imperturbable, il multipliait ses activités : écoles, églises, habitations, bâtiments administratifs, constructions à destination médicale s’érigeaient à travers tout le Congo et même ailleurs en Afrique, tant à l’époque coloniale que postcoloniale. Large d’esprit comme il était, il n’hésitait pas à mettre ses talents au service d’autres orientations religieuses que le Catholicisme, telles que l’Armée du Salut, notamment.
Ainsi, le style spécifique du frère Dequeker, visant à épouser étroitement les conditions climatiques locales, ne manqua pas de se répandre et de susciter l’intérêt au niveau international. Invité à des congrès, des séminaires, des colloques, il fut invité à prendre la parole à Lomé, Nairobi, New York, Athènes, Francfort, Tokyo…
Tout en n’étant pas ingénieur, il n’hésite pas à se risquer, avec succès, à des réalisations de nature spécifiquement technique, telles que des ponts. Mais surtout, Paul Dequeker nous révèle aussi sa vocation didactique. C’est ainsi que le reflet de ses conceptions, son savoir et ses expériences se retrouve dans un précieux livre de référence : « L’architecture tropicale : Théorie et mise en pratique en Afrique tropicale humide », un ouvrage considéré comme la bible de toute architecture répondant idéalement aux exigences d’un environnement tropical.
Son palmarès ne peut manquer de faire impression : pas moins de 1.235 projets conçus et élaborés par le frère Dequeker ont effectivement été réalisés. Mais n’aurions-nous rien oublié ? Mais si ! En effet, nous ne pouvons oublier ses dizaines de carnets de croquis, ni les tableaux qu’il nous a laissés, ni surtout ses superbes sculptures en bois tropical, toutes œuvres qui trahissent une authentique âme d’artiste.