Traduction de l’article de Guido Bosteels paru en néerlandais dans la revue n° 50 de juin 2019, page 53

Afrika1

Winston Churchill était passé maître dans l’art de l’aphorisme qui appelle à réflexion. Un de ses plus connus : « La démocratie parlementaire est le pire système de gouvernement…à l’exception de tous les autres »!

Serait-ce exagéré de donner une tournure comparable à cette affirmation : le colonialisme est-il la pire forme d’administration imaginable…à l’exception de toutes les autres ? On peut en effet considérer comme l’enfance de l’art de citer l’entièreté des péchés d’Israël dont on peut charger tous les anciens administrateurs coloniaux : du racisme, une spoliation illégale des richesses naturelles, de la violence, du trafic d’êtres humains, de l’acculturation et tant et plus…

Il n’est certainement pas nécessaire de démontrer que les formes de colonisations que nous avons connues ces deux derniers siècles forment les boucs émissaires par excellence eu égard aux canons de pensée qui dominent aujourd’hui l’opinion dans nos pays.

Au(x) siècle(s) passé(s) il en allait pourtant autrement. David Van Reybrouck a un jour écrit : «Pensez un peu à nous, Belges. Nous n’avons pas, nous, comme le Congo, été dominés par des forces étrangères pendant 52 ans mais durant près de 2.000 ans ! Mais devons-nous reprocher à la domination romaine de nous avoir ouvert la voie vers la culture chrétienne ? Devons-nous trouver scandaleux que Napoléon nous ait soumis au Code Civil ?»

On se souviendra de la déclaration critiquée du Premier Ministre socialiste français du 19e siècle, Jules Ferry : «C’est le devoir des races les plus développées d’élever le niveau de civilisation des races défavorisées». Tout compte fait ces mots ne contenaient pas de mauvaise intention : dans le contexte de l’idéal socialiste d’égalité des droits, on considérait que la différence des niveaux de vie des populations était une injustice à laquelle il fallait remédier. Par ailleurs des penseurs tels que Marx, Engels et probablement aussi Emile Vandervelde avaient des pensées similaires. C’était plutôt la bourgeoisie de droite qui redoutait les coûts élevés que le développement de ces populations primitives allait entraîner.

Est-il encore nécessaire de rappeler que cela coûta beaucoup d’efforts au Roi Léopold II de convaincre le Parlement belge de l’époque de participer à son «aventure» coloniale ? Comme chacun sait, une règle de base de la charte coloniale stipule que les budgets, respectivement du Congo et de la Belgique, doivent demeurer séparés, à tel point que Léopold II, à un certain moment, se trouva à deux doigts de la banqueroute. Seuls le «deus ex machina» de l’invention par Dunlop du caoutchouc et plus tard la découverte imprévue de ressources minérales précieuses firent pencher la balance dans la direction opposée.

Et de nos jours ? La «bonne conscience mondiale» a dirigé toutes ses foudres d’excommunication sur les systèmes coloniaux encore récemment en activité. Le moins qu’on puisse toutefois dire à propos de cette décolonisation rapide est qu’elle a amené des résultats très divergents. Par rapport à certaines réussites telles que la Corée du Sud, la Malaisie, Hongkong…le continent africain courbe l’échine sous les tragédies, les coups d’Etat, les conflits sans fin, les mauvaises gestions…et la mort de millions d’innocents.

C’est un fait géopolitique constant qu’il existe entre l’Europe et l’Afrique des liens intrinsèques qui doivent nous motiver à consacrer toute notre attention à cette problématique. N’y a-t-il pas eu récemment un observateur compétent pour dire que l’Afrique représente le plus grand défi pour l’Europe ? L’expansion démographique en Afrique exerce à elle seule déjà une forte pression sur notre continent. Entre-temps, du Nord au Sud, on prend conscience que la décolonisation rapide n’a aucunement résolu les problèmes, et là on peut se réjouir de voir que de jeunes intellectuels africains responsables en arrivent à de nouvelles compréhensions et font preuve d’une sagesse qui manque à beaucoup de théoriciens européens. Nous avons ainsi été agréablement surpris par le volumineux ouvrage «L’Afrique à désintoxiquer» du politicien et auteur ivoirien Kakou Ernest Tigori, qui n’hésite pas à mettre ses compatriotes devant leurs responsabilités. Il s’attelle également à guérir les Européens de leur complexe de culpabilité et en même temps à sortir les africains de la zone de confort et d’insouciance dans lesquelles ils se sont laissés immerger. Plus parlant encore est le livre de l’académicien congolais J.-P. Nzeza Kabu qui déclare à ses lecteurs que les Congolais sont capables d’égaler les réalisations des Belges, mais à la condition d’être dirigés par un meneur exceptionnel, un organisateur hors du commun et un excellent dirigeant tel que, eh bien oui…tel que Léopold II l’était !